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ERNEST APPERT ET LA PHOTOGRAPHIE
Portraits par Appert de communard.e.s incarcéré.e.s aux chantiers de Versailles
LES PORTRAITS D'APPERT.
La photographie, qui s'était fortement développée sous la commune, trouvera dans ces circonstances son essor commercial, sous plusieurs formes : photographies des sites incendiés vendues aux usagers des voyages touristiques de Paris brûlé, portraits des communards incarcérés réalisés par le photographe judiciaire Ernest-Charles Appert, accrédité par le tribunal de la Seine, et vendus au public sous formes de cartes. Ces portraits seront exploités par la IIIème république pour retrouver les communards en fuite, créant ainsi un précédé non négligeable au dispositif de Bertillon. Ce fut, écrit Eric Hellman1, « la première entreprise de fichage systématique est conduite en 1871 par la justice militaire qui tente de confondre les militants de la Commune ». Le Charivari indique en juillet 1871 que « la photographie rend de grands services à la police : c'est au collodion que l'on doit toutes les arrestations que l'on fait en ce moment » 2. Gisèle Freund note 3 que les communards « qui furent reconnus d'après ces images par les policiers de Thiers, furent presque tous fusillés. Ce fut la première fois dans l'histoire que la photographie servit d'indicateur de police ». Ces portraits seront achetés, sous des formats différents, indistinctement par des pro-communards et des pro-versaillais.
Simon Mayer
Delphine Bourgeois
Charles Boudaille
Louise Tautin-Boutin
Benoit Bloquel
Euphanie Damiens et son fils
Louise Bonnefoy
Louise Michel
Charles Lullier
1 Surveiller (à distance) et prévenir. Une nouvelle économie de la visibilité, Questions de communication n° 11, p 303–322
2 Quentin Bajac, La Commune photographiée : [exposition, Paris, Musée d'Orsay, 14 mars-11 juin 2000], Paris, Réunion des musées nationaux, p 127
3 Gisèle Freund, Photographie et société, Paris, Seuil, Points, p220
LES PHOTOMONTAGES D'APPERT.
Appert crééra un autre précédent en réutilisant ses portraits de communard.e.s incarcéré.e.s pour réaliser par la suite des photomontages intitulés « Les crimes de la Commune 1». Il reconstitue des épisodes dramatique, entièrement à charge des communards, et prend beaucoup de liberté avec la réalité des faits : Assassinat des otages de la Commune à la prison de la Roquette, Enlèvement des corps de l'archevêque de Paris, Darboy et des clercs exécutés par la Commune le 24 mai 1871, Assassinat de Gustave Chaudey à la prison de Sainte-Pélagie, Assassinat de 62 otages rue Haxo 85 à Belleville le 26 mai 1871 à 5 heures du soir, Assassinat des généraux Clément-Thomas et Claude Lecomte etc... La série constitue, selon Quentin Bajac, « un récit partisan, de propagande, dont la figure centrale est celle de l'exécution, inlassablement déclinée »2. Ces photomontages seront vendus en trois formats différents, de la grande planche à la carte de visite, et remporteront un certain succès jusqu'à leur interdiction à l'automne 1872. Malgré la prétention à l'objectivité d'Appert, la manipulation et l'intention de propagande sont avérées : un seul exemple (parmi beaucoup d'autres), la bouteille mise dans les mains d'Hortense David, qui boit directement au goulot, en bas à gauche de la photo, dans Prison des Chantiers, le 15 août 1871, témoigne d'une falsification évidente de la réalité, et de sa volonté de projeter en caricature les insurgé.e.s, selon les stéréotypes en vigueur concernant les communardes. Les mots de Maxime du Camp sur les insurgés ont résonné favorablement aux oreilles de Appert : « brutes obtuses ne comprenant rien, sinon qu'ils ont bonne paye, beaucoup de vin et trop d'eau-de-vie ».
1 https://fr.wikipedia.org/wiki/Crimes_de_la_Commune
2 Bajac ibidem
Prison des Chantiers, le 15 août 1871, Versailles
C'est dans ce contexte d'instrumentalisation commerciale des ruines de Paris brûlé, d'exploitation idéologique des portraits-charges des insurgés, de leur décrédibilisation politique, que commence le jeu de Paris brûlé, qui rendra compte de l'iconographie photographique communarde et versaillaise.